Dans le domaine de la santé, le progrès repose souvent sur des décisions invisibles prises derrière les portes des laboratoires. Les pathologistes—ceux qui garantissent l'exactitude des diagnostics—sont de plus en plus débordés. Davantage d'échantillons, une complexité diagnostique croissante, et un nombre réduit de spécialistes pour les traiter. La situation n’est pas tenable. Mais que se passerait-il si la technologie la rendait viable ?
La pathologie numérique propose une idée simple mais révolutionnaire : scanner des lames, gérer efficacement les données et intégrer l’intelligence artificielle pour maximiser les performances. Mais ne nous voilons pas la face—ce n'est pas une simple mise à jour informatique. Cela exige un engagement, une gestion du changement et, oui, un investissement financier conséquent. La question cruciale que se pose chaque Directeur Informatique et Directeur de laboratoire est simple : est-ce rentable ?
Une nouvelle étude paneuropéenne, intitulée « Mise en œuvre de la pathologie digitale : enseignements qualitatifs et financiers issus de huit laboratoires européens de référence », répond par un oui clair. Décryptons pourquoi—et ce que cela signifie pour la rentabilité de votre établissment.
La pathologie est le pilier des soins modernes contre le cancer. Presque chaque décision thérapeutique, qu’il s’agisse d’une chirurgie conservatrice du sein ou du choix d’une immunothérapie, repose sur un diagnostic basé sur l’histologie. Et pourtant, les départements de pathologie sont aujourd’hui en difficulté : des effectifs vieillissants, une charge de travail croissante et une demande accrue de relecture spécialisée.
Les Directeurs Informatiques sont contraints de faire plus avec moins. Les Directeurs de laboratoires jonglent entre la logistique des lames en verre et les exigences croissantes de la transformation numérique. Pendant ce temps, les administrateurs réclament des délais d’exécution plus rapides et une qualité plus prévisible.
Nous avons besoin d’un système capable de s’adapter à l’échelle, de favoriser la collaboration à distance et d’ouvrir la voie à l’automatisation. C’est là qu’intervient la pathologie numérique.
Parlons chiffres. L’étude européenne a analysé sept mises en œuvre de pathologie numérique dans cinq pays. Il ne s’agissait pas de projets pilotes mineurs, mais de déploiements à grande échelle dans de grandes institutions académiques, impliquant des dizaines de milliers de cas chaque année. Les chercheurs ont utilisé un modèle de valeur actuelle nette (VAN) sur 7 ans pour évaluer le retour sur investissement (ROI).
L’Investissement
Sur sept ans, le laboratoire moyen a dépensé :
Investissement total: 5,09 millions d’euros (actualisés)
Les Bénéfices
En retour, ces laboratoires ont obtenu :
Bénéfices totaux : 5,29 millions d’euros
VAN sur 7 ans : 0,21 million d’euros
A première vue, le bénéfice semble réduit. Mais il est crucial de comprendre ce que ces chiffres signifient :
Tout investisseur technologique le confirmera : un flux de trésorerie positif dès la 3ᵉ année et des gains à long terme sont des indicateurs solides de durabilité.
Au-delà de cette analyse du retour sur investissement qui se concentre exclusivement sur la numérisation des lames et la gestion des images, nous devons également examiner les possibilités qu'offre le passage au numérique en termes de réorganisation du laboratoire.
Comme il n’est plus nécessaire de renvoyer les lames, il est possible de créer des centres de préparation tissulaire centralisés et de mieux automatiser et rentabiliser les activités de préparation. Nous avons constaté d’importantes économies chez nos clients qui ont tiré parti de la pathologie numérique pour réorganiser leur processus de préparation des tissus. Ces avantages représentent un gain supplémentaire qui dépasse le cadre de cette étude.
Si les budgets sont essentiels, c’est dans l’efficacité que la pathologie numérique révèle tout son potentiel. Considérez les améliorations opérationnelles suivantes rapportées par les laboratoires :
Dans tous les sites, les pathologistes se sont adaptés en moins de 3 mois. La plupart ont fini par préférer les flux de travail numériques. Les techniciens, initialement préoccupés par la charge de travail liée à la numérisation, ont rapporté des gains d’efficacité de 10 à 60 % grâce à un meilleur étiquetage, un suivi optimisé et une redistribution des tâches.
Ce n’est pas seulement de la numérisation. C’est de l’optimisation.
Ne minimisons pas les défis—mais ne prétendons pas non plus qu’ils sont insurmontables. Voici comment chacun d’eux peut être résolu grâce à une planification intelligente et à l’utilisation des bons outils.
A. Coûts Initiaux
Les investissements de départ dans les scanners, les logiciels et l’infrastructure informatique sont conséquents. Pour les petits hôpitaux ou laboratoires, cela peut sembler rédhibitoire—surtout sans financement externe ou stratégie régionale.
Comment le surmonter :
Le paysage évolue. Les modèles SaaS intégraux proposent désormais des tarifs au cas, éliminant la nécessité d’un investissement initial important. Cela permet de commencer modestement et d’évoluer au fil du temps, transformant un coût fixe en un coût opérationnel. Les modèles d’achat groupé régionaux et les financements basés sur des subventions réduisent également la charge financière individuelle.
B. Complexité de l’Intégration
Connecter scanners, IMS, LIS et systèmes de stockage n’est pas un processus simple. De nombreux fournisseurs manquent d’API standard ou d’interopérabilité, ce qui entraîne des intégrations personnalisées coûteuses.
Comment le surmonter :
L’adoption de DICOM pour la pathologie numérique—désormais soutenue par les principaux fournisseurs—a considérablement amélioré la compatibilité entre systèmes. Associée à des partenaires d’intégration expérimentés, la mise en œuvre devient répétable, évolutive et plus prévisible. Choisir un fournisseur ayant une expérience avérée en intégration LIS et PACS et en interopérabilité est essentiel.
C. Exigences de Stockage
Les images de lames complètes (WSI) sont volumineuses. Certains laboratoires génèrent des téraoctets de données chaque mois, posant des défis en termes de coûts et de gouvernance à long terme.
Comment le surmonter :
Les plateformes IMS modernes offrent désormais une gestion automatisée du cycle de vie des lames, permettant d’archiver, de transférer vers le stockage à froid et de supprimer les données selon des politiques automatisées. Cela réduit considérablement les coûts de stockage tout en maintenant la conformité. Les laboratoires peuvent également définir des règles de rétention par niveaux, ne conservant à long terme que les lames critiques ou annotées.
Bilan:
Aucun de ces défis n’est insurmontable. Ils sont réels—mais surmontables grâce à une planification réfléchie, un budget adapté et des partenaires technologiques compétents. Et les retombées à long terme—en termes de productivité, rapidité diagnostique, collaboration et perspectives basées sur les données—justifient largement l’effort.
L'une des conclusions les plus claires de l’étude : l’échelle compte.
Les grandes institutions parviennent à réduire le coût par cas et à atteindre le seuil de rentabilité plus rapidement. Elles sont également mieux positionnées pour :
Dans un exemple concret, un réseau d’hôpitaux en Espagne (DigiPatICS) a centralisé la numérisation des lames, intégré des plateformes LIS et mutualisé les données pour l’entraînement de l’IA. Cela a permis à des sites plus petits de profiter de l’infrastructure d’un grand centre académique, augmentant à la fois la qualité et l’efficacité.
Si vous êtes Directeur dans un hôpital régional ou un système de santé, prenez note : la collaboration n’est pas seulement intéressante—elle est financièrement judicieuse.
L'anatomopathologie numérique est considérée comme la porte d'entrée vers l'intelligence artificielle. Une fois les lames numérisées et les données structurées, il devient possible d'intégrer des outils d'apprentissage automatique.
Cela se produit déjà dans des laboratoires du monde réel, même si c'est à petits pas. Les cas d'utilisation courants incluent :
La plupart des laboratoires inclus dans l'étude utilisaient des algorithmes intégrés, fournis avec leur système de gestion d'images (IMS). Les applications d'IA autonomes étaient rares, souvent en raison de coûts élevés, de remboursements incertains ou d'obstacles liés à la validation. Mais cela va changer.
Les directeurs informatiques et les gestionnaires de laboratoires qui préparent le terrain dès maintenant seront les premiers à en bénéficier lorsque les remboursements s’aligneront et que les outils d’IA deviendront la norme.
Une idée reçue fréquente : la pathologie numérique viserait à remplacer les humains. Ce n'est pas le cas. L'étude le démontre clairement.
Certes, la pathologie numérique permet aux laboratoires de traiter davantage de cas sans embaucher plus de personnel. Mais l'objectif n'est pas de réduire les effectifs, c'est de les redéployer. Les techniciens sont libérés des tâches répétitives de manipulation des lames et peuvent se concentrer sur des tâches plus complexes. Les pathologistes, quant à eux, disposent de plus de temps pour la rédaction de rapports, la préparation des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) et les secondes lectures. Une délégation des tâches peut être mise en place entre pathologistes et techniciens, notamment pour les macroscopies ou la biologie moléculaire, car les images numériques garantissent traçabilité et confiance au sein des équipes.
Dans un contexte où tous les laboratoires peinent à recruter, cette évolution est particulièrement bienvenue.
Sur la base des conclusions de l'étude et de notre propre expérience sur le terrain chez Tribun Health, voici quelques recommandations pratiques pour les CIO et les gestionnaires de laboratoires :
Que vous dirigiez un laboratoire de référence national, un hôpital universitaire ou un réseau de laboratoires communautaires, la pathologie numérique n'est plus une option. Elle est essentielle.
Elle s'amortit en moins de 7 ans. Elle soulage la pression sur vos équipes. Elle améliore la qualité diagnostique et ouvre la voie à l'innovation. Elle permet à votre établissement de devenir un pôle d'attraction pour les talents et les partenariats de recherche.
Chez Tribun Health, nous l’avons constaté de première main. De la France au Royaume-Uni, en passant par le Canada, nos clients prouvent que la pathologie numérique n'est pas seulement un meilleur mode de fonctionnement—c’est une meilleure décision commerciale.
Si vous utilisez encore des flux de travail basés sur la lame de verre, vous n'êtes pas seulement en retard technologiquement—vous êtes en retard sur la création de valeur.
La transition vers la pathologie numérique n'est pas une course de vitesse. Mais comme le montre l'étude, avec les bonnes bases, de l'engagement et une approche stratégique, la destination en vaut largement la peine.
Investissez dans la pathologie numérique non pas parce que c'est une tendance, mais parce que c'est inévitable—et, comme il s'avère, rentable.
Passons des microscopes au numérique—ensemble.
Source: Matias-Guiu, X. et al. (2025). Implementing Digital Pathology: Qualitative and Financial Insights from Eight Leading European Laboratories. Virchows Archiv.